Episode #17 Se sentir pauvre

11 Fév 2020

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Se sentir pauvre : comment gérer la charge mentale liée à la rareté et à la culpabilité de ne pas savoir gérer son argent ?

Transcription complète de l’épisode

Cet épisode m’a été inspiré par les derniers messages que j’ai reçu en privé où vous partagiez avec moi vos difficultés financières. Ce qui me frappe c’est que ces messages viennent aussi bien de gens qui estiment bien gagner leur vie, que de gens qui s’estiment « galérer ».

Dans les deux cas, les problèmes mis en avant sont similaires : du mal à résorber un découvert, du mal à mettre de l’argent de côté, du mal à gérer son argent. Et dans les deux cas, un sentiment commun, celui d’être pauvre.

J’ai eu beaucoup de mal à préparer cet épisode. Je ne savais pas comment traiter au mieux le sujet de la pauvreté. J’avais peur de ne pas être légitime, peur de heurter votre sensibilité, peur de véhiculer des préjugés. Mais il y a quelques temps, j’ai fait un pacte avec moi-même. J’ai décidé que la peur ne serait jamais une bonne raison de ne pas faire les choses. Alors, j’ai fait cet épisode.

Parlons de la pauvreté. La pauvreté, selon l’INSEE, concerne toutes les personnes gagnant moins de 60% du revenu médian Français. Pour une personne seule, le revenu médian en 2015 était de 1692€/mois. Une personne pauvre gagne donc moins de 1015€/mois au sens de la statistique économique. 8,9 millions de Français vivent en dessous de ce seuil, soit environ 14% de la population, ce qui est absolument énorme.

La pauvreté relative

Mais je ne vais pas parler de la pauvreté au sens statistique. Ce qui m’intéresse davantage dans cet épisode c’est la pauvreté relative, celle qu’on ressent, pas celle des statistiques. On peut se sentir pauvre en gagnant le SMIC (qui est au-dessus du seuil de pauvreté), mais on peut aussi se sentir pauvre en gagnant 2500€/mois ou même 5000€/mois. Se sentir pauvre dépend de plein de facteurs :

👉où on place sa propre barre de richesse et de sécurité financière.

👉de ses attentes personnelles qui peuvent parfois dépendre de notre milieu social. Si tout le monde dans ma famille est notaire, médecin ou avocat, je vais me sentir pauvre si je gagne « seulement » 2500€/mois.

👉de son lieu de vie. Si je vis dans une ville comme Hong Kong, Londres ou San Francisco où les niveaux de vie sont bien plus élevés, je risque de me sentir pauvre.

👉de sa structure familiale. Si je suis seul(e) avec plusieurs enfants à charge habitant dans la capitale, je serai relativement plus pauvre.

👉du manque d’épargne.

👉des aléas de la vie qui peuvent avoir pour conséquence une perte de revenus qui ne suffit plus à assurer son ancien train de vie.

Pour ces raisons-là, j’aime bien parler de pauvreté relative ou de sentiment de pauvreté, et aussi parce qu’on est toujours le pauvre de quelqu’un.

Cela peut arriver très vite. Une séparation, une perte d’emploi, une baisse de revenus, ou un client qui ne vous paie pas en temps et en heure, et tout à coup, des choix financiers qui semblaient raisonnables dans le passé, vous plombent dans le présent : le choix d’habiter à tel ou tel endroit, le choix de devenir propriétaire, le choix d’avoir deux voitures, le choix de scolariser votre enfant dans le privé, le choix de partir en vacances à l’autre bout du monde, le choix de rester dans une entreprise où vous n’arrivez plus à évoluer…

Dans une telle période, on n’est pas toujours en mesure de faire les bons choix ou de prendre les décisions qui s’imposent. Notamment parce qu’on sait rarement combien de temps la mauvaise passe va durer. Quand tout va bien, la mauvaise passe ne dure qu’un temps et on arrive à résorber le déficit accumulé rapidement. Parfois, la mauvaise passe dure… Facile après coup de se dire « On aurait dû vendre la 2e voiture », « On aurait dû retirer les enfants de l’école privée… », « On n’aurait pas dû changer le matelas tout de suite… » Les regrets arrivent, les remords s’accumulent et en peu de temps, on ne pense plus qu’à ça.

La psychologie de la rareté

J’ai découvert en lisant un formidable livre intitulé « Utopies réalistes » de Rutger Bregman, les travaux sur la psychologie de la rareté, de Eldar Shafir, psychologue à l’université de Princeton et Sendhil Mullainathan, économiste à Harvard.

Les deux chercheurs nous expliquent qu’on se conduit différemment quand on perçoit une chose comme rare, ici l’argent. La rareté nous incite à nous concentrer sur ce qui manque immédiatement. La vision à moyen ou à long terme passe complètement à la trappe. Concrètement, ils expliquent que toute notre « largeur de bande passante », c’est à dire notre disponibilité intellectuelle ou mentale, est accaparée par la résolution de ce problème de rareté : trouver de quoi payer son panier de course, de quoi partir en vacances cet été, de quoi se générer un complément de revenu, de quoi payer la cantine des enfants, de quoi offrir des cadeaux de Noël…

« La rareté nous consume », Eldar Shafir

C’est comme quand on est constamment occupé dans son travail, qu’on a le sentiment de manquer cruellement de temps pour accomplir certaines tâches mais aussi de temps à dédier à des activités personnelles ou à sa famille. Le manque de temps peut devenir si aliénant, qu’on en finit par négliger son repos, avec pour conséquence de perdre en efficacité au travail, de devenir irritable, d’oublier des choses, d’être hyper-sensible parfois… en gros, on n’a plus de bande passante pour penser à quoi que ce soit d’autre. Et la situation initiale s’aggrave.

Avec la « pauvreté », c’est la même chose sauf que le sentiment de rareté ne cesse jamais.

Moi j’appelle ça la charge mentale. La charge mentale liée aux difficultés financières, liée au sentiment de rareté de l’argent.

La charge mentale de ne pas savoir gérer son argent

La charge mentale c’est tout le temps que l’on passe à penser à une seule et même chose, en l’occurrence ici à l’argent. Notre cerveau, notre esprit, notre temps est dédié à une seule et même préoccupation : l’argent. Pendant qu’on fait ça, on ne fait rien d’autre.

Pour faire une analogie…

Pensez par exemple à un fumeur qui essaie d’arrêter de fumer. Il passera un temps considérable de sa journée à penser à la clope, à lutter contre les envies de fumer, à élaborer des stratagèmes pour ne pas avoir à suivre les collègues à la pause clope, à faire du sport pour compenser, à lutter contre ses démons, à se motiver et s’encourager…

Et avec l’argent ça donne quoi ?

On peut avoir envie ou besoin de regarder ses comptes sans arrêt, on est très frustré de la façon dont son conjoint dépense son argent, aller faire ses courses est une source d’angoisse, ouvrir la boite aux lettres aussi, faire face aux sollicitations de sorties des amis ou d’argent de poche des enfants, se demander sans cesse comment on va pouvoir boucler les fins de mois, ou si ce mois-ci on va enfin pouvoir mettre de l’argent de côté. L’argent devient un sujet de préoccupation majeur.

Le sentiment de rareté est largement amplifié quand nos attentes sont en décalage total avec notre situation financière réelle. Si je gagne le SMIC à Paris mais que j’aspire à avoir une grande maison en bord de mer avec une piscine pour vivre avec ma famille, je vais me sentir encore plus en stress de ma situation actuelle. Et je vais y penser. Constamment.

Il y a un autre phénomène qui amplifie la charge mentale c’est le regard qu’on porte sur soi : la honte, la culpabilité, la gêne. La honte de ne pas savoir gérer son argent, la culpabilité d’avoir pris de mauvaises décisions par le passé…

Sentiments qui sont eux-mêmes amplifiés par le regard des autres. Il y a dans la société une forme de culpabilisation ou de condescendance à l’égard de ceux dont on pense qu’ils gèrent mal leur argent. Chacun s’octroie un droit de regard sur la façon dont on dépense notre argent. Et donc si tu es considéré comme pauvre – au sens où tu n’arrives pas à mettre de l’argent de côté – c’est de ta faute, c’est parce que tu ne sais pas gérer ton argent, que tu le dépenses n’importe comment etc… 

Evidemment que c’est une posture qui ne me plait pas parce qu’elle stigmatise toute une catégorie de gens dont le seul tort c’est de ne pas savoir faire quelque chose. On croit toujours que gérer son argent, c’est inné. Eh bien non ça ne l’est pas. Des gens qui ont des difficultés à gérer leur argent, on en trouve de plus en plus, dans tous les milieux sociaux, et à tous les niveaux de revenus. N’importe quel banquier ou professionnel de la finance vous le dira !

« Il n’y a qu’une classe qui pense davantage à l’argent que les riches, ce sont les pauvres. », Oscar Wilde

Il avait bien raison mais, si la citation prête à sourire, la réalité est moins drôle. Cette charge mentale, ou saturation mentale, liée à l’argent a des conséquences très négatives sur nous.

Plus on se sent pauvre, plus on aura de difficultés à gérer son argent

L’auteur néerlandais, Rutger Bregman, que j’ai déjà cité au début de l’épisode, a publié en juin 2016 un article polémique intitulé « Pourquoi les pauvres prennent d’aussi mauvaises décisions ? »

Dans cet article, Bregman explique que par manque d’argent et à force d’être autant préoccupés par des impératifs financiers de MAINTENANT (régler les factures, finir les fins de mois…), notre bande passante est saturée et cela a un impact énorme sur nos capacités cognitives. C’est le cas, qu’on ait toujours eu le sentiment d’être pauvre, ou que ce soit nouveau.

L’impact sur nos facultés cognitives est, qui plus est, durable. De sorte, qu’on est moins à même de prendre des bonnes décisions pour soi, à moyen ou long terme.

Cela explique pourquoi les statistiques montrent que, plus les revenus d’une personne sont faibles, plus la probabilité est forte que cette personne fasse moins de sport, fume davantage, mange moins sainement, emprunte plus ou économise moins.

Gérer son argent, ou faire un budget c’est faire un arbitrage constant entre ses besoins ou envies du moment, et ceux du futur. Déjà qu’on a tendance à privilégier la satisfaction immédiate de nos besoins ! Mais c’est encore plus vrai quand il est difficile, voire quasi impossible, de se projeter, comme c’est le cas quand la charge mentale est trop élevée.

Les gens qui éprouvent de la rareté sont doués pour résoudre les problèmes à court terme. Le problème se pose à plus long terme, quand il s’agit de trouver une solution plus durable dans le temps. Par exemple, cette histoire de « bande passante » peut notamment expliquer pourquoi, malgré des difficultés financières réelles :

👉autant de potentiels bénéficiaires ne demandent pas leurs aides à l’Etat 

👉il est si difficile d’épargner car on pense « ici et maintenant »

👉il est si difficile de tirer le meilleur parti d’une offre de formation Pole Emploi par exemple ou de sortir d’un cycle de petits boulots, car cela demande de se projeter dans une autre voie possible pour soi, ce qui n’est plus toujours facilement réalisable.

Bregman défend l’idée que « la pauvreté ce n’est pas une question d’intelligence, mais une question d’argent. » En d’autre terme, on n’est pas pauvre parce qu’on est bête, on est pauvre parce qu’on manque d’argent.

C’est essentiel à comprendre pour apaiser sa charge mentale, commencer à se débarrasser des sentiments négatifs qu’on accumule quand on a l’impression de ne pas bien gérer son argent et qu’on se sent « pauvre ».

J’aimerais vous inviter à faire un exercice de projection pour que vous compreniez ce que c’est la charge mentale…

Imaginez que vous amenez votre voiture chez le garagiste. Vous en avez besoin car vous vous déplacez tous les jours avec, pour aller au travail. C’est peut-être même votre outil de travail. Maintenant imaginez-vous qu’en allant récupérer votre voiture, le garagiste vous annonce que vous devez payer 200€ pour la réparation. Comment est votre niveau de stress ? Faible ? Moyen ?

Imaginez-vous maintenant qu’il vous dise : « J’ai dû tout changer, vous en avez pour 10 000€. » Est-ce que vous n’êtes pas en état de choc ? Est-ce que vous allez tranquillement retourner travailler en mettant cette nouvelle de côté dans un coin de tête ? Ou est-ce que vous n’allez penser qu’à ça toute la journée, toute la soirée, tout le week-end même. Est-ce que vous serez aussi efficace au boulot ? Est-ce que vous aurez la disponibilité pour vos enfants ou pour gérer des choses moins urgentes ? Comme par exemple réserver pour vos vacances cet été ?

Eh bien la bande passante saturée, c’est ça. Vous n’avez plus vraiment la place pour penser correctement à d’autres sujets. Donc vous parez au plus urgent. Tant pis pour les lendemains qui déchantent.

Bregman se réfère donc à la théorie de la rareté que je viens de présenter pour expliquer que la rareté financière perçue (je dis bien perçue !), peut réduire nos capacités cognitives au point de nous faire prendre de mauvaises décisions ou de nous empêcher de prendre de bonnes décisions.

Comment on fait alors pour alléger sa charge mentale ?

 

Cette histoire de charge mentale ressemble à un cercle vicieux vous l’aurez remarqué… ou à l’histoire de l’oeuf et la poule. Est-ce que je suis stressée parce que j’ai l’impression de ne pas avoir assez d’argent ou est-ce que c’est le manque d’argent qui me cause tant de soucis ? Dois-je m’attaquer au symptôme (ie. le stress) ? Ou à sa cause supposée (ie. le manque d’argent) ? Et comment… puisque le manque d’argent m’accapare tellement que je n’arrive plus à consacrer de temps et d’énergie à essayer de me sortir durablement de cette situation.

Comme tout cercle vicieux, il faut le briser et ça commence par une prise de conscience. Si vous écoutez le podcast, vous êtes sur la bonne voie !

Mais alors comment on fait ?

Je crois qu’il y a des ouvertures… des moments où cette charge mentale diminue un peu. On n’est pas toujours constamment à saturation. Il faut réussir à profiter de ces moments de répit : par exemple juste après avoir remboursé une échéance de prêt, avoir payé une facture qui trainait, avoir réussi à épargner plus que d’habitude… et profiter de ces victoires pour ouvrir une porte de sortie vers le plus long terme. Pour que le sentiment de rareté ou la difficulté ne revienne pas, ou pas si vite, ou pas si fort.

C’est dans ces moments de soulagement que vous allez trouver le courage de demander de l’aide, ou la motivation pour mettre fin à une habitude dérangeante (comme arrêter de fumer par exemple), ou tout simplement pour remettre à plat vos choix de vie.

C’est le bon moment pour remettre en question ces grandes décisions du passé qui vous polluent dans le présent et peut-être prendre d’autres décisions qui libéreront votre porte monnaie.

J’ai tendance à dire que ce n’est pas un renoncement, c’est un arbitrage. Vous choisissez ce qui est le mieux pour vous à cet instant. Ce qui vous semblait juste par le passé, n’est peut-être plus d’actualité. Ne vous sentez pas prisonnier de décisions du passé.

Donc objectif moins de dettes, plus d’épargne et surtout moins de charge mentale.

Dans la méthode que j’ai rédigée, vous trouvez des ressources pour vous aider à faire vos arbitrages, re-prioriser vos choix de vie de la manière la plus indolore possible pour reprendre du contrôle sur vos finances personnelles.

Les références mentionnées dans le podcast

 

📖 »Utopies réalistes » de Rutger Bregman

📖 »Pourquoi les pauvres prennent-ils de si mauvaises décisions ?« , traduit à partir de l’article de Rutger Bregman 

📖La méthode de Budget Chéri pour ré-aligner ses dépenses avec ses priorités de vie

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